Portraits

Patrick Eudeline, l'homme plein de qualités

Interview : suite 3

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J'aimerais revenir sur cette question du « No futur » qui était le grand slogan de la période punk. Quid aujourd'hui? Aujourd'hui que ce concept est récupéré par un grand nombre de nos contemporains, le futur étant, pour beaucoup, très incertain.

Je pense que c'est aujourd'hui la fin d'un système, d'une société post-industrielle capitaliste. Il y aura probablement une renaissance, dans un siècle, 50 ans. Mais avant, il y aura le déluge, ça va se casser la gueule. Nous sommes dans une période, au sens littéraire du terme, de décadence, une vraie période de fin d'un sytème qui ne fonctionne plus socialement, économiquement, qui n'a plus de valeurs. C'est la Rome antique!

Mais c'est plutot bien, c'est ce que vous appeliez de vos voeux dans votre jeunesse! C'est la fin, mais de quoi?

Je ne suis pas un mec qui mise sur le futur! Quand ce slogan est apparu « No futur », il faut voir que la fin des années 70 ont mis 10 ans à se remettre des espoirs fous des années 60 qui se sont cassés la gueule, sur le  plan politique, social, etc.... Comme disait John Lenon: « The dream is over! », c'est fini. Il n'y aura pas de révolution, « We want the world, we want it now! », ça a foiré. Ca c'est l'histoire des années 70. Le Punk-Rock était le dernier grand mouvement romantique, le déluge, le point final venu à la fin de la décennie. En Angleterre comme en France, le chômage commençait à arriver, la crise pointait déjà son nez. L'écologie commençait à être une évidence pour tout le monde. Même si les punks avaient une posture urbaine très Warholienne: « on mange du synthétique, on voit un arbre on tombe malade... » et tout ça. Ca faisait partie intégrante de la posture. J'ai vraiment vu Alain Pacadis tomber malade à la vue d'un arbre! Le pauvre... il n'y avait que du vert, il n'était pas bien. Il aurait fallu inventé des arbres noirs ou synthétiques!

Mais on y est à ce point de rupture, alors pourquoi être pessimiste?

Pour être optimiste, il faudrait être persuadé que les choses vont être mieux, qu'il y aura une vraie renaissance, un renouveau, que ça ne va pas être un massacre terrible avant. Toutes les révolutions sont sanglantes, mais moi je pense, que dans les années à venir, la crispation sociale va amener des villes ghettos. Il y aura quelques privilégiés protégés par des barbelés et des policiers et le reste en feu. Au niveau de l'art, je me demande comment nous allons survivre à Internet par exemple. Je me suis engueulé avec Cohn-Bendit il y a quelques jours à propos des droits d'auteurs. Au début d'Internet, je me suis dit que comme ça passait par l'écrit, les mails, les blogs, etc, cela allait renforcer l'écrit! Ce n'est pas à mon sens ce qui c'est passé. Ca a tout appauvri, chacun s'imaginant maintenant pouvoir faire carrière, chanter, enregistrer un disque. C'est une hérésie... seuls les meilleurs y arrivent, avec beaucoup de travail, de constance, un vrai parcours du combattant. C'est nul de faire croire que c'est simple aux gens, et que par internet, tous leurs rêves se réalisent en un coup de baguette magique!

La solution?

Pour moi il est très important de mettre des filtres, à Internet. Les gens n'ont plus confiance dans les journaux, la télévision, les images, les informations. Ce qui me terrifie sur Internet, c'est le téléchargement sauvage. Je me bats comtre l'e-book en ce moment! Je ne veux pas que l'écrit se transforme en téléchargement pdf de luxe pour rentrer dans l'e-book! Je ne comprends pas non plus pourquoi on n'interdit pas le téléchargement illégal sur internet. Il suffirait d'interdire les 3 grands logiciels de piratages, de mettre leurs dirigeants en prison, et la question avancerait! Dans ce combat là, la presse, écrite ou autre, perd de l'importance, et ce n'est jamais bon pour la liberté, la démocratie, une société. Qu'un journal marche, c'est toujours bon. J'écris actuellement pour Grazzia, un nouvel hebdomadaire qui était diffusé partout dans le monde sauf en France. Je viens d'écrire un article sur le Kilt, car j'aime la mode, et j'ai eu la possibilité de faire un bel article historique sur le kilt chez les punks, les minettes du drugstore, ce que ça représentait culturellement, socialement. J'aime l'idée de participer à la sortie d'un nouveau journal papier. Il ne faut pas que la presse écrite disparaisse!

« Rue des martyrs », un titre qui ne se retourne pas seulement vers le passé, mais est aussi précurseur selon vous? Tourné vers l'avenir alors?

Tout ce que je vois m'encourage à penser que nous allons dans le mauvais sens. On ne doit pas renoncer pour autant, mais la lucidité est une arme. La science-fiction n'a même jamais imaginé le monde tel qu'il est aujourd'hui! L'horreur que ça va être, non plus. Je ne suis pas d'un optimisme délirant. J'essaie de me battre pour certaines valeurs, même si ça fait réac de dire, ça. J'essaie de faire au mieux, avec mes petits moyens, l'écriture. Ecrire... ce que je fais en ce moment, des textes, des articles, de la musique. Pour les autres, des chanteurs déjà connus ou non. Je n'ai pas envie de faire un album personnel pour le moment, non plus d'écrire un autre roman, il me faut du temps, savourer la sortie de celui-ci, en faire le deuil, me nourrir à nouveau, créer une envie. Mais, il y a quelque chose que j'ai très envie de faire, et que je ne me suis pas encore prouvé, c'est produire un artiste, lui écrire des textes et des musiques... découvreur de talent en fait! Car la lucidité n'empêche pas l'action!

Patrick Eudeline, « Rue des martyrs », 324 pages, Grasset, 18,50 euros.
Où se procurer le livre ? www.fnac.com