Critique : A l'origine

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A l'origine affiche

D'après l'histoire vraie d'un petit escroc qui a construit une autoroute.

Le film, par un montage cut et des plans filmés en caméra subjective, démarre directement dans le vif du sujet. Nous plongeons dans la vie terne et grise de Philippe Miller, un petit escroc solitaire, vivant sur les routes, de petites arnaques, au jour le jour, dormant dans des motels. Une sorte de anti-héro ayant oublié son humanité et son cœur derrière les barreaux d'une obscure prison lors de son dernier séjour à l'ombre. S'il a fini par en sortir, de l'univers carcéral, il reste néanmoins prisonnier de cette carapace qu'à l'image d'un scarabée, pour se protéger, il a érigé entre lui et ses émotions, lui et les autres, lui et le monde des vivants. Nous l'accompagnons bien malgré nous dans une sorte de road-movie glauque, de fuite en avant sans but, de dérive lente et inéluctable. Spécialiste de l'arnaque sur des chantiers d'autoroute, ce personnage minable et antipathique finit par atterrir sur un chantier abandonné depuis deux ans par des écologistes pour sauver une colonie de... scarabées justement. Et pour sauver cette colonie de scarabées, on a arrêté le projet routier, étouffé l'économie locale, les usines implantées dans la commune, et les habitants du coin avec. Tant pis.

De coups de flippe en coups de bol, l'arnaque se met en place, et une juteuse enveloppe d'argent liquide et sale tombe dans les mains de l'escroc à la petite semaine, argent douteux qu'il s'empresse, comme à chaque fois, de repasser nerveusement. C'est l'heure de lever l'ancre, et de fuir, plus loin, ailleurs, on ne sait ni où ni pour quoi faire exactement. Et puis tout bascule, subrepticement, lentement, et aussi par accoup, dans une succession d'électrochocs. Les yeux de Philippe Miller se décillent, son cœur se remet  à battre dans sa poitrine, sa vie  bascule en même temps que celle des habitants du coin à qui il redonne paradoxalement de l'espoir. L'espoir d'une autre vie, l'espoir d'un chantier commun, d'une rédemption collective à travers le projet fou de construction d'un bout d'autoroute, sorte de tour de Babel de sable et de bitume noir comme de l'encre, partant de nulle part, arrivant nulle part. Qu'importe. L'essentiel est moins le but que le chemin.

Les acteurs sont remarquables, émouvants, tous traversés de sentiments multiples, antagonistes, humains finalement. Les lieux sont âpres. On est dans le Nord, dans la boue, une saignée terreuse vécue comme des tranchées, sous la pluie. Rosetta, La vie rêvée des anges, l'Humanité et leurs réalisateurs ont déjà célébré en leur temps la grâce subtile et austère de ce Nord des usines, des gens de peu, des paysages balayés par les vents et les orages. Une terre oubliée des Dieux, peuplée de gens ordinaires accédant à un statut de vrais personnages grâce, et uniquement, à leurs qualités humaines. Là-bas, là-haut, on retrousse ses manches, on prend son courage à deux mains, on chipote pas, et on y va.

Un beau film dans lequel l'humain, ses splendeurs et ses petites misères, son courage et ses doutes, sa générosité et ses petites bassesses, sont filmés au plus prêt, au plus juste, sans effets de style, sans pathos ni jugements. Il est bon en conclusion, de souligner que ce film relate un fait divers réel. Malgré quelques longueurs (le film dure 2h10), on est absolument pris, captivé et ému par cette fiction basée sur une histoire vraie, sorte de guerre de tranchée (le film est sorti en salle un certain 11 novembre) contre l'inhumanité du système socio-économique dominant, pas forcément perdue d'avance.

Sortie : 11 Novembre 2009.
Réalisateur : Xavier Giannoli
Casting : François Cluzet, Emmanuelle Devos, Gérard Depardieu...
Durée : 2h10