Portraits

Patrick Eudeline, l'homme plein de qualités

Interview : suite 2

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Perdu? Est-ce qu'il ne s'agit pas juste de le partager?

Partager, c'est perdre! En matière de pouvoir phallique... Par définition, ou on est celui qui commande ou celui que l'on commande!  Il faudra des décennies pour que les hommes l'intègrent et s'y fassent. Ca met du temps de digérer les révolutions culturelles qu'il y a eu en 60, 70. On a remis en cause des choses importantes. La famille, son rôle, ancrés depuis des siècles dans les mentalités et qui ont été remis en cause en 3 ou 4 ans à peine. Ce n'est plus une question de perdre ou de partager, le pouvoir phallique. Les hommes l'ont perdu, c'est un fait qu'il faut digérer et intégrer. Mais c'est compliqué.  

Mais justement, c'est peut-être pour ça que les femmes peuvent enfin sortir de leur rôle de bonne épouse, bonne maman, femme au foyer docile, qu'elles ont enfin le droit de s'exprimer, de parler de leur ambiguïté, leur complexité, leurs désirs, leur noirceur aussi, dans l'art et par des chansons?

Absolument. Ce que l'on a appelé le Girl Power dans les années 90 est passé par là. Clairement, avant dans les années 70, une fille en jupe avec des bottes était considérée comme une pute, qui faisait ça pour allumer les mecs. Par les hommes, mais aussi par les féministes, qui jetaient et brûlaient leurs soutien-gorges, je parle même pas des balconnets! Aujourd'hui, les filles sont réconciliées avec leur féminité, sont libres, s'assument. Les rockeuses assument à la fois leur côté sombre et sexy. Ca c'est nouveau.

On n'est plus dans la dichotomie séculaire de la sainte et de la pute?

Officiellement. Mais c'est plus compliqué. Dans leurs têtes, les hommes, au niveau cerveau archaïque, reptilien on va dire,  dans les vieux schémas, sont écartelés. Il y a toujours dichotomie. Ca va mettre du temps à changer.

Peut-être qu'à travers l'art, ça peut changer, qu'on peut accepter que les femmes soient complexes et qu'elles puissent le dire, dans leurs chansons?

C'est vrai.  Ce ne sont pas les étudiants gauchistes qui ont oeuvré à cette libération là, ont apporté toutes les révolutions que l'on a connu. Même s'il y a eu des leaders et des grands penseurs politiques qui ont fait changer les mentalités. Mais tous les grands changements sont passés par la musique, l'art, l'écriture. Par ce vecteur là.

Vous avez par exemple travaillé avec Virginie Despentes.

Absolument. C'est une amie très proche. J'avais été très épaté par ce qu'a fait Virginie. Que l'écriture puisse être aussi puissante. Et qu'il faille en repasser par le texte, l'écrit. C'est même pour ça, dans les années 90 où je ne trouvais plus mon compte au niveau de la musique, du rock,  que je me suis remis à écrire. Il faut remettre dans le contexte, c 'était « Dimitri from Paris », les tubes de cette époque....! Donc j'ai eu à nouveau envie d'écrire des textes, des livres. En France, on parle anglais comme des vaches espagnoles! On a besoin en français de faire de l'explication de texte, même dans la musique. La langue française est belle. Elle nous permet d'intellectualiser. Même dans la musique, avec des groupes basiques, on a une lecture plus intellectuelle que les groupes anglo-saxons, ou allemands. Virginie a eu un rôle clair dans le fait que je me remette à l'écriture, mon envie de redonner autant d''importance à l'écrit.

Les rockeuses ont pris le pouvoir, mais pourquoi y a-t-il si peu de musiciennes rock?

La première fois que j'ai vu apparaître des filles qui jouaient de la musique, d'un instrument, c'était avec le Punk-Rock, ça a été la scission. Avant, il y avait quelques blues men qui se faisaient accompagner par des filles, et quelques grandes chanteuses qui s'accompagnaient à la guitare folk. Mais, globalement, dans toutes les années 70, on ne compte que 3 vrais groupes de filles: Les Runaways, Fanny et Berta. Ce n'est pas beaucoup sur les milliers de groupe. Il y avait aussi quelques chanteuses-strip-teaseuses, avec Polnareff par exemple. Mais ça restait rare. Il faudra attendre le mouvement punk pour voir des filles émerger à la basse, au clavier. Je pense que ce n'est pas dans la nature féminine de se prendre la tête sur un instrument. Je crois qu'elles veulent s'exprimer autrement. Il y a des grandes harpistes, pianistes, violonistes, en musique classique, car le bagage culturel est tellement fort, et le contexte familial les pousse à ça. Pourtant, quand on est une fille seule dans un monde d'hommes, en tournée par exemple, c'est plus facile de monter sur scène avec une guitare qu'avec un micro! La chanteuse est beaucoup plus exposée que la musicienne qui peut se cacher derrière son instrument.