Livres et littérature

Serge Joncour, "l'homme qui ne savait pas dire non" à l'inquiétude

Interview : suite 1

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Une piste peut-être, pour un prochain roman?

Il y en a plein des pistes. Je suis en ce moment en train de relire un texte que j'avais écrit il y a dix ans. Il y a peut-être des pistes derrière moi aussi, à rouvrir. La frontière entre le réel et l'imaginaire chez moi est assez floue. C'est un problème que j'ai depuis toujours, marqué par une sorte de distance, d'oisiveté. J'ai toujours un temps de retard par rapport au réel, je suis toujours spectateur de l'action, de ce qui se passe autour de moi. De la même façon, là, je redécouvre ce texte que j'ai écrit comme si c'était un autre qui l'avait écrit. Je suis un peu perdu, dans le monde. J'ai toujours été un peu perdu. Mais il y a un moment ou on ne s'en inquiète même plus, avec l'expérience, je dirais même avec l'âge. Je suis un peu perdu, parce que déjà, le fait d'être auteur ou écrivain, écrivain pratiquant, fabriquant, dans la mesure ou c'est ma seule légitimité au monde social, ou même à l'administration, est un statu totalement évanescent. Sortir un livre c'est à chaque fois foncer tout droit vers l'inconnu. On se sait pas ce qui nous attend.

Vous avez acquis une certaine notoriété quand même?

Non. Pas au stade d'être une garantie. Il y en a quelques uns, Amélie Nothomb, Marc Lévy, qui ont une certaine base acquise. Une demi-douzaine d'écrivains français... et encore. On voit très souvent des auteurs faire un grand succès et le livre d'après, il ne se passe pas grand chose.

C'est une peur?

C'est être un peu perdu en tout cas. Cette peur là, maintenant, je navigue avec. C'est comme partir en mer sans savoir le temps que tu vas trouver. Mais un vrai bon marin, il n'est plus inquiet de ça, à la limite il a presqu'envie de partir composer avec les éléments, découvrir sa navigation.

Etes-vous sensible à la critique?

Evidemment. Quand il y a beaucoup d'articles, si dans le tas il y en a un de mauvais, bon, ça passe... mais ça fait mal quand même! Le problème, c'est qu'aujourd'hui, il y a des tas de blogs, qui sont définitifs. Ca reste dans le temps. Avant, avoir un mauvais papier dans un quotidien, ça faisait mal sur le coup, mais le lendemain, il y en avait un autre, quotidien, par définition. Aujourd'hui, tout reste. Moi, je ne suis pas très sûr de moi. Je ne suis jamais très sûr du roman que j'ai fait. Donc quand je lis une critique négative, ça fait mal. J'ai tendance à croire... Quand je lis un bon papier, je le crois. Quand je lis un mauvais papier, je le crois!

Mais il reste tout de même la nécessité d'écrire, quoiqu'il advienne?

Oui. J'ai envie de me raconter des histoires, et de les raconter. Comme je ne suis pas très bon à l'oral, c'est peut-être une sorte de revanche. C'est un vrai désir de me projeter dans une dimension autre que la simple réalité. Le faire par la lecture, et d'une façon encore plus périlleuse, par l'écriture.

Vous parliez de l'écriture de scénario. Comment faites-vous pour adapter votre écriture à celle d'un scénario qui va venir se mettre au service de l'image, et bloquer l'imaginaire du regardeur quelque part, par rapport à l'écriture?

C'est un autre enjeu, un autre pari. Quand on lit un roman, chacun le lit comme il veut, se projette, projette son propre imaginaire. Si je parle « d'une femme dans le jardin public », chacun va projeter une femme, et un jardin public, en fonction de ce qu'il connaît. Chacun a une interprétation personnelle de ce qu'il lit. Pour moi, aller sur un tournage, dans les décors de l'adaptation d'un de mes romans, rencontrer mes personnages incarnés par des acteurs, comme pour mon roman « UV » par exemple qui a été adapté au cinéma, c'est voir de l'intérieur comment quelqu'un, un réalisateur en l'occurence, projette sa vision personnelle à partir de ton histoire initiale.

Y-a-t'il des déceptions parfois?

C'est la même chose et c'est autre chose. C'est comme vivre avec quelqu'un, un autre, dans le même appartement! C'est étrange. On se rend compte de ce phénomène en premier lieu lorsque des lecteurs vous parlent de votre livre. On réalise qu'en fin de  compte ils ont vu autre chose finalement. D'ailleurs, il y a un choix à faire de la part de l'auteur, choix d'être très précis ou plus vague dans ce qu'il écrit. Mais c'est toujours passionnant de voir comment ça a été interprété. Cela veut déjà dire que, à minima, ça a été lu!

Cela ne vous a pas rassuré que des cinéastes viennent vous chercher, votre regard, votre écriture, pour nourrir leur propre imaginaire, adaptent vos romans sur grand écran?

Si, bien sûr. Mais en même temps, ça crée d'autres peurs, ça ouvre d'autres champs à l'inquiétude. Est-ce que je vais réussir à l'écrire, est-ce que je vais le finir, est-ce que ça va être monté, est-ce que ça va marcher? En même temps son inquiétude fondamentale, il faut lui donner des leurres, la faire courir après des lièvres faciles, la distraire. Plus je fais de choses, plus ça me donne des sources d'inquiétudes, mais en même temps, cela distrait mon inquiétude fondamentale. Ma peur de la vie. Donc tant mieux.

C'est ça votre vraie inquiétude fondamentale? La peur de la vie?

Il y a une peur qui me hante, c'est certain. Comme tout le monde, mais je pense que j'y suis plus attentif que d'autres.

 

 

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ina (non vérifié) , 07 octobre 2009
Tous ces articles diversifiés, je trouve ça très bien: du futile, du sérieux, de la mode, il y en a pour tous les goûts. Et c'est pour quand la section "sexa mais sexy"?
JS (non vérifié) , 26 juillet 2010
Très bon interview. Et un grand auteur que je conseille pour une belle découverte littéraire.
JS