"Le Syndrome du Titanic" prend l'eau !

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Affiche du film : Le Syndrome du Titanic Nicolas Hulot

Un constat sans appel sur les dommages qu'on inflige à son environnement.

On est un peu embarrassé de devoir faire la critique de ce film... Sa sortie le 7 octobre en salle fut précédée d'un tel tapage médiatique que l'on s'est même demandé s'il fallait vraiment en parler. D'autant que nous, on l'a vu il y a un mois, en projection presse. Et qu'on était déjà bien embarrassé à l'époque. Comment en parler, comment parler de ce malaise qui nous étreignit pendant le visionnage ? Nous avons donc décidé, histoire d'avoir un autre point de repère, de visionner dans la foulée en dvd « Home » de Yann Arthus-Bertrand, l'autre film documentaire de l'année abordant la même thématique : un constat sans appel sur les dommages que l'Homme inflige à son environnement, à sa planète. Son incapacité à en prendre conscience, à agir pour redresser le navire avant qu'il ne fonce tout droit dans l'iceberg (d'où son titre). Une même thématique, un même dispositif de réalisation : des images magnifiques ou frappantes de paysages naturels ou urbains autour du monde (parfois pratiquement les mêmes images, les mêmes lieux... les équipes de tournage, à leur grand plaisir, ont dû s'y croiser) ; un même procédé narratif : des commentaires en voix off, celles de Nicolas Hulot et de Yann Arthus-Bertrand themselves. Mais pas du tout le même film, finalement. D'un côté un documentaire efficace (« Home »), de l'autre ...un film que l'on a du mal à appeler documentaire et d'ailleurs qui ne se revendique pas comme tel (on serait plutôt du côté du reportage), et que l'on a du mal aussi à qualifier d'efficace. Bien que parfois, cela fonctionne, la sauce prend. Par moment. Mais pas assez souvent malheureusement.

Pourquoi ?

Cela nous fait souffrir, on aurait vraiment voulu pouvoir adhérer pleinement, la cause est bonne, juste, noble, il est urgent d'agir, de réveiller les consciences, et Nicolas Hulot en avait les moyens, financiers, médiatiques, politiques, soutenu par un nombre impressionnant de partenaires tous plus prestigieux les uns que les autres, en atteste le générique de fin. On aurait tellement voulu sortir de la projection de presse et se précipiter sur son ordinateur pour pondre un papier enthousiaste, dithyrambique... Mais, c'est plus compliqué que cela.

Trop esthétisant.

Trop c'est trop. Cette succession d'images plus léchées les unes que les autres, montées très cut comme on dit dans le métier, à savoir, sans transition, les unes derrières les autres, fatiguent le regard. On s'en prend plein la figure. Les dix premières minutes sont... mortelles de longueur. Violentes. Le spectateur est agressé continuellement tant par les images, le montage, les bruits, la bande son, très forte, les commentaires de Nicolas Hulot qui d'une voix presque fatiguée, désabusée, atone dès le début du film, lance sa charge. Cet esthétisme, dont pourtant il se défend, nous semble déplacé quant à un tel sujet. Et pourtant, chez Yann Arthus-Bertrand, l'esthétisme fonctionne. Là aussi, de magnifiques images réalisées par un grand monsieur de la photographie qui a prouvé à tous son talent à immortaliser la beauté stupéfiante de notre planète. Mais chez lui, cet esthétisme bluffant est mis au service du film. Dans « Home », pourtant visionné sur une télévision, et non sur grand-écran, on est pris par l'image, embarqué là-bas, ému par ces paysages, que l'on a envie de sauver. On saigne lorsque la terre saigne. On a les trippes qui se retournent lorsque l'on découvre les plaies ouvertes par les exploitants forestiers dans la forêt amazonienne, envie d'hurler à la vue de la culture intensive en cercles concentriques aux USA ou à Dubaï. Envie de limiter sa consommation de sacs plastiques jetables au profit de sacs en coton équitable réutilisables, ainsi que sa consommation d'eau à la vue des nappes phréatiques qui s'assèchent, de même que les puits, les rivières, les lacs... un peu partout sur la planète. Dans « Home » qui aurait pu s'appeler « Hom(m)e » finalement, tout ça est très bien expliqué, la narration fluide, le commentaire à la fois didactique et beau, émouvant, jusqu'à nous interpeller directement : « Toi, l'homme, tu es apparu, si fragile. Et ta plus grande force fut de reconnaître immédiatement ta faiblesse. ». Non seulement magnifiques, ces images et ce texte nous émeuvent, nous impliquent, nous donnent envie de devenir un citoyen encore plus responsable, là ou ceux du « Syndrome » nous maintiennent à distance, tantôt en nous tenant la dragée haute, tantôt en nous ridiculisant, tantôt en nous violentant. Jamais en nous encourageant.

Un commentaire manichéen.

Nicolas Hulot enfonce des portes ouvertes et ne nous apprend pas grand-chose au bout du compte. Sa voix parfaitement désenchantée nous emmène dès les premières minutes du film dans l'astral, pour s'y éterniser à nous rappeler nos origines célestes, atomiques. Nous sommes des atomes, à la base... D'accord, on l'a compris, mais nous sommes surtout des êtres humains ! Alors, pourquoi ne pas nous parler en tant qu'êtres humains ? D'être humain à être humain ! A l'opposé, le commentaire d' « Home » est incarné, porté par une voix d'homme à la fois posée, douce, engagée, égrainant tout le long du film un nombre exceptionnel d'informations concrètes, informations reprises en synthèse dans les dernières minutes du film par des sous-titres, afin que nous retenions l'essentiel. Il y a une vraie volonté didactique chez Arthus-Bertrand, d'éducation, de compréhension pour créer des liens, du lien, là où s'affiche surtout une vraie volonté de bousculer les âmes, de les percuter chez Hulot.

 Le grand absent du film : l'Homme.

Bizarrement. Parce que l'Homme, on en parle tout le temps dans ce film. On le voit partout, gesticuler, tel un pantin ridicule et malfaisant. Mais, on ne l'entend jamais s'exprimer, réhumaniser sa présence, donner sa version à lui face aux propos à charge du commentaire, du commentateur. Juste, pour tout accès à la parole, la voix off en fin de film d'une vieille dame américaine, ayant perdu sa maison et vivant depuis 23 ans dans sa voiture. On la voit à l'image, on l'entend en off nous raconter en quelques mots sa vie... drôle de procédé narratif arrivant soudain comme un cheveu sur la soupe, alors que dans tout le reste du film, le seul narrateur est Nicolas Hulot. Drôle de manière de traiter l'humain, un personnage, que de lui donner la parole sans lui donner en fin de compte. De prétendre le laisser s'exprimer sans lui permettre de s'incarner. Les hommes sont traités comme des sortes de fantômes hantant le monde. Rien de bon en l'être humain apparemment. Rien à sauver. Une accumulation de visages, de silhouettes, d'images de villes, là où quelques plans étaient suffisants, efficaces. Des villes montrées, pointées du doigt, comme autant de monstres tentaculaires, à l'image de leurs habitants. Les africains nomades comme la voix à suivre en matière d'habitat. Ecolo, certes. Mais bon... Villes opposées aux campagnes, citadins aux ruraux, animaux aux humains, riches aux pauvres, pays du nord aux pays du sud, jeunes (japonais s'amusant dans une fête) aux vieux (chinois entassés les uns sur les autres dans des cages à lapins). Trop réducteur, trop simpliste, trop négatif et pessimiste. Démago, oserai-je le dire?

Trop de culpabilité.

Et cet œil, revenant continuellement dans le film, sous forme d'affiches, de gros plan sur des visages par ailleurs muets, l'œil de Dieu, l'œil du jugement dernier ! I'm the eye in the sky, looking at you... d'Alan Parson aurait pû être la bande-son du film. Le narrateur et le réalisateur prétendent conjointement vouloir réveiller les consciences collectives pour, ensemble, faire évoluer les choses différemment, tant qu'il en est encore temps. Ensemble ? Alors, pourquoi passer son temps dans le film à opposer les uns aux autres, à bâtir des murs aussi invisibles qu'infranchissables ? A creuser des abîmes sans fond entre les êtres, les personnages ? A diaboliser les uns en sacralisant les autres ? Il n'y a pas les gentils d'un côté, et les méchants de l'autre. Il n'y a que des humains. Avec leurs forces et leurs faiblesses. Leurs rêves et leurs névroses. Leurs courages et leurs fragilités. Leurs splendeurs et leurs petites misères. Si Nicolas Hulot souhaitait créer une communauté de consciences éveillées et de résistance pour faire bouger les choses, encore fallait-il accepter que dans communauté, il y a le mot « commun ». Et mettre en valeur ce qui nous relie les uns aux autres, au lieu de mettre en exergue ce qui nous sépare de manière irréconciliable. Qu'ont-ils en communs tous ces personnages que nous survolons dans le film ? En quoi il y aurait matière à les relier, afin de changer la face du monde? Créer une chaîne durable et solidaire ? Tout le monde ne peut pas vivre à la campagne. Tout le monde ne peut pas partir élever des chèvres dans le désert. Il y a des ruraux polluants de même que des citadins-écocitoyens. Des entreprises dangereuses et d'autres green. Et surtout, il y a plein de gens sur cette planète qui se bougent, font des choses, ont plein d'initiatives encourageantes, et ce depuis des décennies. Des gens, des villes, des Etats. Et ça, Arthus-Bertrand passe également les dix dernières minutes de son film à nous le montrer par un tour d'horizon de la planète. Nous finissons ainsi par une note positive, encourageante. Il est encore temps. La peur n'est pas le premier pas vers l'action. Au contraire, il est le premier pas vers le repli sur soi, la paralysie, la fuite. Si Mr Hulot ne croit pas en la possibilité d'une salvation, ne croit pas en nous, dans le genre humain, comment pourrions nous croire en lui ? En son appel au secours ? Car il s'agit bien de cela, non ?

Un problème avec le principe de réalité et avec le passage à l'acte politique

Le lancement par la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme de l'initiative « Evolution : Chapitre 2 », qui ambitionne de fonder « une nouvelle dynamique » et de « tourner la page », d'ouvrir « un nouveau chapitre de l'histoire de notre évolution » où « tout est à construire », est à l'image du film et en explique ainsi les ressorts, ou plutôt l'absence de ressorts.

La volonté est noble. Le problème ne  se réduit pas au fait que « tout est à construire », on sait bien qu'on ne part pas d'un champ vierge, mais que tout est en effet à re-construire, car tant de choses existent ou sont déjà en cours d'exister. Peut-être néfastes et détestables, peut-être dangereuses, mais là, présentes, existantes. C'est un principe de réalité auquel « Le Syndrome du Titanic » adhère certes en tant que témoignage mais avec lequel il a un problème quand aux idées et conséquences véhiculées. « Tourner la page »  nous enjoint Nicolas Hulot dans le dossier de presse. Mais jamais l'humanité n'a « tourné la page »... Elle ne peut que s'adapter.

« Urgence » ne signifie pas « Grand soir » ou « Révolution ». Et d'ailleurs, si l'humanité était une et indivisible et pouvait agir de concert, cela se saurait. Comment réagirait un système, ou plutôt un ensemble de systèmes, impliquant au quotidien des milliards d'hommes, que Nicolas Hulot affirme « qu'on ne peut plus réparer » et que l'on voudrait soudain stopper ? Et bien il continuerait comme si de rien n'était. Si le monde est le Titanic et si beaucoup en sont atteint, du syndrome, Nicolas Hulot semblerait atteint d'un syndrome presque aussi inquiétant, en tout cas peu efficient et dont on peut douter de la finalité : celui de « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Trop absorbé par le fait d'avoir à se débarrasser de l'eau sale du bain, il en oublierait que bébé patauge encore dedans.

Le film a perdu là de vue quelque chose d'essentiel : lutter contre les fortes contraintes et les menaces qui pèsent sur l'humanité ne peut se faire sans réformes unitaires, patientes (et oui !), laborieuses, réalisées par ses propres membres. Ce qu'il faut ce n'est pas prêcher le grand soir (même Olivier Besancenot ne parle plus en ces termes), mais encourager et multiplier partout les femmes et les hommes qui font un travail de fond considérable sur tous les fronts de l'environnement, de l'éducation, de la pauvreté, du développement. « Il ne faut pas mépriser l'homme, si l'on veut obtenir des autres et de soi de grands efforts » disait Tocqueville, qui ajoutait à une époque où l'on luttait pour l'idée de démocratie que « Les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne soient pas égales, mais il dépend d'elles que l'égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères. ». Il en est de même de la lutte pour l'environnement. Tout vouloir révolutionner c'est « bien », mais c'est surtout un vœu pieu.

Passer du vœu pieu à l'action.

Le dossier presse du film affirme en introduction : « Ce film est davantage un appel à la raison et un acte politique qu'un documentaire sur la crise écologique. D'ailleurs, la « belle nature sauvage » est la grande absente... ». Oui ce film est un appel à la raison. Effectivement ce n'est pas un documentaire sur la crise écologique, dont nous sommes en effet (après « Une vérité qui dérange », d'Al Gore, et « Home », de Yann Artus-Bertrand) maintenant conscients. Oui la « belle nature sauvage » en est absente, une pique implicite pas très fairplay à « Home » en passant et un rappel aussi et surtout, comme le dit Jean-Albert Lièvre, que pendant des années Nicolas Hulot et lui ont « filmés le rêve ». Mais hélas, et c'est cela qui peut désespérer et que l'on attendait si fortement dans ce film, après le formidable espoir du « Pacte écologique » de 2007 lancé par la Fondation Hulot, non hélas ce film n'est pas un acte politique. Un acte politique n'est pas un acte coup de poing. Un acte politique défend un programme, malheureusement absent. Un acte politique défend des perspectives d'avenir, inexistantes ici, hormis cette projection d'un impact presque inéluctable sur l'iceberg. Un acte politique fédère les énergies au lieu de les renvoyer dos à dos. Un acte politique croit et donne de l'espoir à tous, et surtout à ceux qui agissent déjà pour la bonne cause. On le cherche ici en vain, en se demandant inlassablement où est le « I have a dream » de Nicolas Hulot ?

Hannah Arendt, dans la « Condition de l'homme moderne », en 1961, disait que « contre l'imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l'avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses. » Nul ne demandait à ce film de tenir des promesses, mais d'en faire peut-être. C'est ce qui manque au « Syndrome du Titanic », de ne pas être un acte politique, d'en rester à un poignant constat.

Toujours dans sa « Condition de l'homme moderne », Hannah Arendt disait aussi que « si nous n'étions pas pardonnés, délivrés des conséquences de ce que nous avons fait, notre capacité d'agir serait comme enfermée dans un acte unique dont nous ne pourrions jamais nous relever : nous resterions à jamais victimes de ses conséquences. ». Le débat se nourrit également de savoir si le sentiment de culpabilité et la peur (dont usent les auteurs du film) sont de vrais moteurs du changement. Faute de proposer des alternatives conceptuelles, concrètes, politiques, le « Syndrome du Titanic » prend le risque de jouer les Cassandre, c'est-à-dire de n'être jamais pris au sérieux malgré l'exactitude de ses prédictions.

"Le syndrome du Titanic", de Jean-Albert Lièvre et Nicolas Hulot, sortie en salles le 7 octobre 2009.
Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme : www.fnh.org

 

 

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Anonyme (non vérifié) , 16 octobre 2009
Quel pavé! Tout ça,pour ça?
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geminy , 17 octobre 2009
Nicolas, enlève ton masque, on t'a reconnu! Se serait déjà plus courageux que de te cacher derrière un pseudo noyé dans la masse, d'anonyme.
Et n'oublie pas que la liberté de la presse, ça existe... :))
ps : et ne perds pas ton temps à lire des dossiers "Culture" qui ne t'intéressent pas, il y a plein d'autre rubriques à la fois passionnantes courtes et concises ici.
Cheers!
Geminy
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geminy , 17 octobre 2009
Note à la rédaction de Femmezine : il semblerait que les commentaires soient systématiquement signés anonymous, même quand l'internaute s'identifie et signe. Un peu dommage....